Premières observations de scinques Mabuya sp. sur les îles des Saintes (Archipel de la Guadeloupe)
La découverte
L’un de nous (Baptiste Angin) a eu l'heureuse surprise d’observer un scinque en novembre sur l'île de Terre-de-Haut aux Saintes.
Aussi, une nouvelle prospection a été programmée deux semaines plus tard. Et ce ne sont pas moins de 5 individus différents qui ont pu être observés et photographiés. Ce, sur une superficie d’à peine 1 200 m2 ! En revanche, des recherches complémentaires alentours n’ont pour l’instant pas permis de mettre en évidence d’autres noyaux de population.
Si cette découverte a de quoi ravir autant les scientifiques naturalistes, c’est que les scinques sont devenus très rares en Guadeloupe !
Les scinques étaient sans doute autrefois communs et répandus sur l'ensemble des îles de notre archipel. Malheureusement, c’était avant. Avant l’introduction de redoutables prédateurs auxquels les scinques n’avaient jamais été confrontés au cours de l’évolution naturelle : mangoustes, chats errants, rats noirs, poules, … Avant la dégradation continue de leurs habitats naturels notamment par les déboisements étendus, le surpâturage par les petits ruminants - nombreux en divagation sur les îlets et îles du sud -, et l’usage excessif des pesticides.
On présume que les scinques ont disparu de Grande-Terre, Basse-Terre, de Marie-Galante. Et plus récemment, de l'îlet Cochon.
Actuellement, les seules populations connues encore existantes sont celles des îles de la Désirade et de Petite Terre (Breuil, 2002; Lorvelec et al. 1998 ; Lorvelec 2011 ; Hedges & Conn, 2012 ; Pare & Lorvelec, 2012 ; Gomès & Ibéné, 2013).
Historiquement la présence de scinques aux Saintes n'avait jamais été prouvée. On retrouve dans la littérature une seule mention pour Terre-de-Bas faite par Schwartz (1967) mais cette donnée a été considérée comme erronée jusqu'alors par les herpétologues contemporains (confusion avec Terre de Bas de Petite Terre). Depuis, alors que les Saintes constituent des îles souvent visitées par des naturalistes, aucun scinque n’y avait été observé et aucun témoignage d’habitant n’en avait fait état.
Néanmoins, il était permis d’espérer sa présence car ces îles sont exemptes de mangoustes, le plus redoutable prédateur de l’herpétofaune antillaise. Ce sont d’ailleurs les dernières îles de l’Archipel guadeloupéen où les couresses (couleuvres) y sont encore assez communes. Alors que les autres couleuvres de la Guadeloupe ont disparu ou sont en danger critique d’extinction : la Petite Couresse, (Erythrolamprus juliae , ex Liophis juliae) et la Grande Couresse de Guadeloupe (Alsophis antillensis), la Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum), respectée par la plupart des habitants, elle, ne semble pas en danger d'extinction, tout au moins à Terre-de -Bas.
Quelques temps après, lors d'une nos prospections sur Terre-de-Bas dans le cadre de l’étude que mène L’ASFA sur les Reptiles rares de l'Archipel guadeloupéen, nous avons pu obtenir une preuve de la présence de l'espèce sur cette île ! En effet, un habitant conserve un spécimen prélevé dans son jardin il y a 5 ans.
Mais là, plusieurs autres séances de recherche sur le terrain ont été infructueuses. Ce qui nous fait craindre que ce noyau de population soit déjà au bord de l’extinction.
Pour ces deux îles, ces données sont les premières mentions de la présence de scinques sur l'archipel des Saintes. Bien que l’observation des scinques est réputé difficile, l’absence de données sur ces îles malgré le passage d’un grand nombre de naturalistes, laisse à penser que ces populations sont très localisées, en faible effectif, et par conséquent, menacées de disparition.
Nouvelle population d’une espèce déjà décrite ou une nouvelle espèce ?
Maintenant que la présence du Scinque est avérée sur les îles des Saintes, reste à en déterminer l’espèce. Il s'agit là d'un autre problème.
En effet, dans un passé récent, toutes les populations de scinques en Guadeloupe comme dans une grande partie des Petites Antilles faisaient partie de la même espèce Mabuya mabouya (Lacépède, 1788). En 2012, des scientifiques herpétologues américains, Hedges et Conn, ont proposé une nouvelle classification du genre basée pour la Guadeloupe sur l’analyse morphologique de quelques individus. Ils proposent ainsi de scinder les populations guadeloupéennes en cinq espèces : Mabuya desiradea pour l'île de La Désirade et les îlets de Petite Terre, Mabuya cochonae pour l'Ilet Cochon, Mabuya grandisterrae pour l'île de Grande-Terre, Mabuya guadeloupae pour l'île de Basse-Terre et Capitellum mariagalantae pour Marie-Galante.
Ainsi l'isolation géographique des îles aurait donné naissance à une espèce à part entière sur chaque île. Nous nous retrouverions en Guadeloupe avec 5 nouvelles espèces endémiques (de chaque île). Et 4 d’entre elles auraient disparu !
La dernière en date, celle de l'îlet Cochon (petite île de 25 hectares située dans le Petit Cul-de-Sac Marin) n'a pas été retrouvée malgré plusieurs prospections (Breuil, 2002 ; AEVA, com. pers. 2013 ; L'ASFA, 2014). L'hypothèse la plus plausible de sa disparition est la prédation par la population férale de chats implantée sur l’îlet (abandons délibérés ou en relation avec les habitations sur l'île). Si l’espèce y subsiste, elle serait en danger critique d’extinction.
Pour les Scinques des Saintes, les observations de terrain et l'analyse des photographies prises confirment leur appartenance au genre Mabuya. En revanche, il nous est aujourd'hui impossible de déterminer de quelle espèce il s'agit par la simple observation des caractères morphologiques.
Est-ce une des 5 espèces décrites par Hedges et Conn en 2012 ? Est-ce l’espèce connue à la Dominique ? Est-ce l’espèce mère Mabuya mabuya ? Est-ce une espèce commune à toutes les îles de l’Archipel guadeloupéen ? Ou alors, est-ce une nouvelle espèce pour la science qui serait endémique du banc des Saintes, la 6ième espèce de scinques de la Guadeloupe ?
Il faut relever que l'herpétofaune des Saintes montre que ses représentants sont pour la plupart, des espèces à part entière, différentes de celles du "continent". C’est le cas pour la Couresse des Saintes (Alsophis sanctonum), le Sphérodactyle des Saintes (Sphaerodactylus phyzacinus) et l’Anolis des Saintes (Ctenonotus terraealtae). Toutes ces espèces sont endémiques aux Saintes. Autrement dit, elles sont présentes aux Saintes et nulle part ailleurs au monde !
Le juge de paix sera sans doute la génétique. Afin de préciser la taxinomie des scinques des Saintes, nous projetons donc de mener une étude moléculaire avec le concours d’un spécialiste français de la phylogénie des scinques en partenariat avec les services de l'Etat.
A peine découverte, cette population apparaît menacée
Quoi qu’il en soit, l’avenir des populations de scinques des Saintes est très incertain. Des menaces sur les habitats où subsistent des individus sont identifiées et il y a urgence à les réduire drastiquement.
Parmi les mesures qu’il conviendrait d’ores et déjà de mettre en œuvre on peut citer :
- la préservation de tous les habitats où la présence de scinques a été notée,
- une gestion raisonnée des populations de chats errants et divagants (prise en charge par des Associtations de Protection Animale, stérilisation, sensibilisation des propriétaires,..),
- campagnes de piégeages de rats,
- gestion des cabris et poules en divagation,
- proscrire tout traitement pesticide dans les zones à scinques
- surveillance étroite de toute arrivée d’espèce exotique envahissante (notamment la petite mangouste indienne)
Il va sans dire que tout projet d’aménagement dans ces zones devra scrupuleusement prendre en compte les populations de scinques.
Baptiste Angin, Régis Gomès et Béatrice Ibéné
AIDEZ-NOUS à mieux les connaître !!!
En l’état actuel, les Scinques font partie des espèces les plus menacées de la Guadeloupe. Endémiques, elles ont une très grande valeur patrimoniale. Si ces espèces venaient à disparaitre ce serait une perte définitive pour la Guadeloupe mais également pour la biodiversité mondiale.
Il n'est pas à exclure que des reliquats de populations de scinques subsistent en Basse-Terre et en Grande-Terre. En effet, comme le montre la découverte aux Saintes, l'espèce peut se faire très discrète de la communauté naturaliste et scientifique.
Vous pouvez participer à la connaissance et à la sauvegarde
de ces espèces patrimoniales
en nous faisant part de vos observations :
Contactez l'ASFA
ou à défaut, par téléphone au 0690 50 72 32